Éditorial de notre collaboratrice Naomie Décarie-Daigneault
Mardi dernier dans Le Devoir (4 octobre 2023), les femmes des vues sont un petit peu plus visibles. Dans un formidable article intitulé « Rendre visibles les femmes des vues », l’écrivaine Josiane Cossette parle pas mal de tout ce qui m'intéresse (ok, c'est pas vrai... d'une grande partie de l'immensité des choses qui m'intéresse). Elle revient sur les 50 ans de Vidéo Femmes (maintenant devenu SPIRA), qui nous a rappelé, à nous les filles qui veulent faire des vues, que ça fait pas mal de temps qu'on bûche pour qu'on puisse y accéder, à l'écran de cinéma.
Parce qu'il y a eu évidemment tout le reste. Les années de vache maigre. La vidéo comme arme de parole, et qui était boudée par les institutions (on s'attend à quoi, des institutions, de toute façon. elles se réveillent toujours après coup, quand c'est le temps des anniversaires et qu'il n'y a plus de risque à prendre). La non-reconnaissance, bref. Mais ce n'est pas parce qu'elles n'étaient pas à Cannes qu'elles n’existaient pas. Au contraire. Et elles créaient des ponts, des réseaux, des sororités, même à travers le monde. Parce que les réseaux des femmes existent, fourmillent et s'agrandissent toujours. Ils se nourrissent à une même colère. Serait-elle universelle, cette chère colère? Viendrait-elle avec le lait de nos mères, avec les yeux cernés de nos mères, avec les voix fatiguées de crier, de ne pas être entendues?
Mais après, il y a aussi la lutte. Il y a eu le regroupement Moitié-Moitié, et maintenant il y a Réalisatrices Équitables qui bûche sans relâche, qui n'échappe rien. Il y a le travail de femmes cinéastes qui tout à coup sortent de l'ombre. Il y a celles qu'on avait oubliées. Celles qu'on a snobées. Celles qu'on a raillées. Il y a celles dont la colère est encore moquée. Celles dont les rages sont ignorées, même quand la planète brûle, même quand tout meurt, même quand l'échec du matériel est là, inévitable. Mais ce qu'ils oublient, c'est qu'il y a toute une bande qui est là, qui ne raille pas, qui ne moque pas, qui ne nie pas. On est là et on écoute. On est là, et on est inspirées, nourries, gonflées d'espoir et d'envies nouvelles, qu'on ne savait même pas possibles.
Et puis il y a le travail de mémoire. Doctorante et chargée de l'initiative Savoirs communs du cinéma à la Cinémathèque québécoise, Julia Minne s'échine, lutte, débusque. Elle questionne et redonne parole. Elle dérange et bouscule. Elle essaie de faire un peu de désordre pour qu'on arrête de le prendre au sérieux, l'Ordre. Elle fait un travail de mémoire inouï, mais pas pour l'embaumer. Non, pour que cette mémoire ardente reste vivante et continue de nourrir nos luttes, nos imaginaires, nos sororités de par-delà les générations, les classes, les origines. Comment rester debout et ne pas céder. Ne pas céder devant cet immense gâchis. Réparer, réparer, réparer, comme on fait toujours, mais cette fois, dans la lumière, et dans la fierté; visibles.
Merci Josiane Cossette, chapeau à Vidéo Femmes, et à toutes celles et ceux qui ont poursuivi et continuent de poursuivre la lutte!
Naomie Décarie-Daigneault
Réalisatrice & Directrice artistique et codirectrice générale de Tënk - Québec
Membre du C.A. de RÉ de 2016 à 2021
