Dames du DOC

RÉ a reçu le Prix Engagement de l’Observatoire du cinéma au Québec!

Réalisatrices Équitables est très fier d'avoir reçu le Prix Engagement de l'Observatoire du cinéma au Québec, le 8 mai 2017.

 

Voici le merveilleux texte lu par Olivier Asselin lors de la remise de notre prix.
Merci beaucoup à l'OCQ!

 

Le prix Engagement de l’OCQ

 
Cette année le prix engagement de l’OCQ est remis, non pas à une personne, mais à un collectif, Les Réalisatrices Équitables, pour sa contribution exceptionnelle à l’avancement de l’égalité—et de la démocratie—dans le milieu du cinéma et de la télévision et dans le milieu culturel en général, au Québec et au Canada.

La petite histoire de cette grande aventure :

En janvier 2007, à l’occasion de la visite Coline Serreau au Québec, Isabelle Hayeur et Ève Lamont organisent une rencontre informelle avec une vingtaine de réalisatrices du Québec pour discuter du cinéma et partager leur expérience. Mais la discussion se conclut sur un terrible constat. Lucette Lupien, qui anime la rencontre, ressort les statistiques du collectif Moitié-Moitié (fondé 20 ans auparavant par quelques femmes du milieu institutionnel et indépendant du cinéma au Québec) et l’on constate que la situation des femmes cinéastes ne s’est pas améliorée dans les 20 dernières années et qu’elle s’est même détériorée. (Alors qu’en 1985, la part de l’enveloppe budgétaire de la SODEC pour les réalisatrices s’élevait à 22 %, cette part descend en chute libre à 8 % en 1995, et remonte péniblement à 13 % en 2005.)

Même si nous avons atteint une certaine équité dans les établissement d’enseignement (notamment dans les universités), le milieu est toujours aussi inéquitable : dans le nombre de réalisatrices, dans les projets retenus par les producteurs et les productrices, dans le nombre de demandes de financement auprès des institutions, dans les projets acceptés, dans les montants accordés, dans le nombre de films et d’émissions réalisés, dans la distribution des postes clés (Je passe sur la question de l’image des personnages féminins à l’écran, qui sont encore sous ou mal représentés).

En mars 2007, ces réalisatrices publient une première lettre ouverte aux médias, « L’équité pour les réalisatrices? Une belle fiction », signée d’abord par une quarantaine de cinéastes et qui crée, déjà, des remous. Suite à la publication de cette lettre, Nicole Giguère, Isabelle Hayeur, Ève Lamont et Marquise Lepage, avec la complicité de Lucette Lupien, forment un collectif, les Réalisatrices Équitables, pour essayer faire avancer les choses par tous les moyens.

À partir de ce moment, en une dizaine d’années seulement, les Réalisatrices Équitables vont faire un travail immense, soutenu et remarquable. Elles écrivent des lettres ouvertes, elles présentent des rapports, elles déposent des mémoires à des commissions parlementaires, elles participent à des comités ministériels, elles contribuent à des études, elles publient des livres (dont 40 ans de vie rêvée qui rend hommage aux cinéastes québécoises de fiction), elles organisent des journées de réflexion, des rencontres, des conférences, elles mettent sur pied d’ambitieux projets (dont les Dames du Doc), elles animent un site web, avec des portraits, des entrevues filmées, des archives, etc., autant d’activités qui vont raviver le débat, éveiller les esprits et appeler à des actions concrètes, non seulement dans le milieu du cinéma, mais aussi dans le milieu de la télévision et dans la culture en général.

Et tout ce travail, infatigable, des Réalisatrices Équitables (et de quelques autres collectifs comme Woman in View, fondé en 2010 à Toronto, probablement sur le modèle des RÉ) va porter fruit et produire des résultats tangibles et profonds.

Cette année seulement :

En mars 2016, l’ONF s’engage à ce que, dans les trois ans, la moitié au moins de ses productions soient réalisées par des femmes et que la moitié de son budget total de production soit allouée aux projets de réalisatrices.

En septembre 2016, Téléfilm Canada s’engage à financer d’ici 2020 un « portefeuille » de longs métrages plus représentatifs de la diversité canadienne et de la parité hommes-femmes et, en novembre 2016, l’institution présente des mesures pour favoriser, à qualité égale, les projets scénarisés ou réalisés par des femmes, encourager la présence des femmes et des membres des Premières Nations aux postes clés, à promouvoir les talents féminins et à soutenir les recherches et initiatives de développement professionnel en vue de l’égalité hommes-femmes. Téléfilm remercie le groupe de travail qui a mené à ce plan, dont les Réalisatrices Équitables faisaient partie.

En février 2017, la Sodec dévoile à son tour un plan d’action pour atteindre, également d’ici 2020, la parité des genres, ainsi qu’une meilleure diversité culturelle. Dans son communiqué, la Sodec reconnaît l’importance du collectif : « À l’écoute des associations qui ont relevé ces inégalités, particulièrement des revendications des Réalisatrices équitables, la SODEC souhaite inciter le milieu à s’ouvrir aux projets proposés et réalisés par des femmes avec son plan d’action décliné en trois volets : sensibilisation, changements dans les programmes d’aide, et recherche sur la formation et les premières années sur le marché du travail ».

Bien des gens, à droite comme à gauche d’ailleurs, pensent que le féminisme est aujourd’hui inutile et pire, qu’il est dépassé. C’est évidemment loin d’être le cas. Les progrès de l’après-guerre, des années 1960 et 1970, notamment sur le plan juridique, sont formidables. Mais ils ne peuvent cacher les inégalités réelles qui se perpétuent. Et il se pourrait même que le danger d’un ressac soit d’autant plus réel qu’il est ignoré et que le combat semble terminé.

Nous avons une ministre de la condition féminine qui refuse de se dire féministe (même si elle a rectifié le tir dans une lettre ouverte) et une ministre de la justice qui partage son hésitation. Au même moment, la parité n’est toujours pas atteinte, ni sur le plan de la représentation politique, dans le milieu des affaires, dans le milieu culturel et bien d’autres professions, ni sur le plan des salaires, partout, etc. Le dernier rapport annuel du Forum économique mondial sur le « gender gap » sur les plans de la santé, de l’éducation, du politique et de l’économique dans 144 pays (publié en octobre 2016) est encore alarmant : l’indicateur s’est amélioré dans 68 pays, mais détérioré dans 74. Et le Canada est au 35 rang… Je passe sur ce qui se passe ailleurs dans le monde, non seulement sur le plan social, mais même sur le plan juridique, où l’on cherche encore à faire passer des lois iniques. Et, partout, on assiste à la libération d’une parole terrible, antiféministe, sexiste et misogyne, notamment sur les réseaux sociaux.

Évidemment, dans un monde idéal, le féminisme serait inutile. On préférerait ne pas utiliser ces catégories de genre et de sexe, qui, qu’on le veuille ou non, risquent toujours d’essentialiser et d’exclure et, surtout, de reconduire le système même d’identité et d’exclusion que l'on cherchait à déconstruire. On aimerait mieux queerer tout cela. Mais c’est un moment politique nécessaire et aujourd’hui encore, hélas : l'égalité doit passer par l'affirmation politique des communautés marginalisées—surtout de cette communauté qui constitue 50% de l’humanité. Sans cela, ce sera le statu quo—ou, pire, la régression.

Comme le dit si bien l’adage—anonyme (dont l’origine est introuvable et qui doit être le fait d’un collectif…) :

« I’ll be a post-feminist in a post-patriarchy ».

Merci aux Réalisatrices Équitables.

 

Olivier Asselin
Cinéaste & Professeur titulaire à l'université de Montréal

Observatoire du cinéma au Québec
Université de Montréal

 

L’Observatoire du cinéma au Québec a comme vocation principale de soutenir et de promouvoir les activités de recherche et d’étude du cinéma au Québec du Secteur cinéma du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.

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